samedi 12 décembre 2009

King of the world


Texte écrit le samedi 31 Mar 2007


Tu ouvres la fenêtre. Les bruits du boulevard en dessous rompent immédiatement le silence de la pièce. L'air frais frappe ton visage. Une odeur d'automne, de feuilles mortes humides te rappelle la première fois que tu l'as vu.

C'était aussi un jour d'automne, il y a un an, tu as croisé le regard trouble de ce garçon qui venait d'avoir 18 ans. Qu'est-ce qu'il t'a pris de lui parler? La douleur digne de son visage? Ce mélange de faiblesse et de force dans ce corps d'adolescent? Tu ne sais plus. Tu lui as parlé et ta vie s'en est trouvée bouleversée.

Le téléphone sonne sur ton bureau. Tu n'as pas envie de répondre. Aujourd'hui plus que tout autre jour, tu n'as pas envie des responsabilités qui t'attendent, des décisions que tu dois prendre dans le cadre professionnel. Qu'ils se débrouillent seuls! Personne n'est irremplaçable.
Personne sauf peut-être lui. Lui que tu as voulu aider à surmonter sa douleur. Lui, cet homme-enfant meurtri par un premier amour raté. Il t'en a fallu du temps pour qu'il te raconte son histoire: une histoire si courante et si personnelle, tomber amoureux d'un hétéro.
Toi-même, tu es tombé dans ce piège. Aimer quelqu'un qui ne te le rendra jamais, tout au plus peut-être des serments d'amitié. Tu refoules le souvenir de tes 18 ans à toi. Le sourire gêné de ton premier amour à sens unique après une déclaration honteuse. L'envie de disparaître de la vie de l'autre. La peur de voir ébruiter le secret.

Tu soupires. Le téléphone s'est tu, vaincu par ton apathie. Le responsable toujours disponible, l'homme aux milles solutions est pour la première fois aux abonnés absents. Tu te rappelles les études que tu as faites pour obtenir ton poste, les sacrifices auto-imposés pour atteindre l'excellence, l'envie de compenser ta tare par l'obtention permanente de la première place.
Que t'a apporté une telle perfection? La réputation d'un homme aux nerfs d'aciers, plus véritablement humain, un bourreau de travail sans vie privée jusqu'à la rencontre avec lui. Une vie sans vie, sans ami, sans joie mais aussi sans douleur.

Et puis tu l'as rencontré. Et ton coeur de glace s'est ému. Tu as voulu l'aider, le guérir, le chérir. Peu importait qu'il eut la moitié de ton âge. Tu as vu en lui ta rédemption, comme la possibilité de racheter ta propre souffrance, ta propre jeunesse gâchée. Tu as été un ami, un parrain, un père. Celui qui guide et qui pardonne à la fois.
Et tu l'as désiré. Follement. Mais tu n'as jamais osé essuyer un deuxième refus. Tu sens encore sur tes lèvres le souffle chaud de son haleine la seule fois où vos salives se sont mélangées. Tu en rêves la nuit.

Tu veux revivre ce moment. Cet instant de pur joie de vivre où il a enjambé la balustrade de ta fenêtre pour confier sa vie à la force de tes bras. Ce moment d'indicible absolu où sa frêle silhouette s'est penchée sur le vide en criant "I'm the king of the world" tel un Di Caprio en figure de proue d'un Titanic de pierre. Tu enjambes la balustrade et te retiens à elle. L'adrénaline chante dans tes veines comme une drogue.

Et puis tu te souviens de ce que tu ne souhaites pas te souvenir. Ce retour plus tôt que prévu. Ce corps qu'il te déniait dans les bras d'un autre. Ces clés que tu lui avais données comme symbole d'ouverture et d'asile permanent transformées en instruments de trahison.
"Aimer c'est souffrir" as-tu toujours pensé et tu l'as vérifié passionnément ce jour là. Une larme perle au coin d'un oeil.

Le vent se calme soudain. Un rayon de soleil caresse ton visage. Tu bombes le torse et inspire profondément pour rechercher une quiétude désormais perdue. Et pendant un instant, ton coeur trouve un équilibre intérieur, une paix de l'âme jamais atteinte jusqu'ici. Alors, tes mains lachent la balustrade.

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