mercredi 10 mars 2010

La division par zéro

►La naissance des nombres.

Au départ, il n’y avait rien.
Ou plutôt il n’y a avait que deux états, avoir et ne pas avoir. Et si on n’avait pas, on n’avait rien. Et si on avait, binh on avait. Point.
Ou plutôt, on comprenait intuitivement qu’avoir plus de nourriture rassasiait plus, qu’avoir plus de fourrures permettait d’avoir plus chaud.

Et puis un beau jour du Néolithique inférieur (ou était-ce une laide nuit du Paléolithique supérieur? Mmm… Passons), Anatole Dugenou (évidemment, ce n’est pas son vrai nom : le vrai est imprononçable en français), homme des cavernes par passion et par nécessité comprit qu’il pouvait y avoir une association possible de concept entre les doigts de la main et le nombre d’objets distincts qu’il voyait. Il comprit que même si ce n’était pas la même chose (un doigt reste un doigt), il était possible d’exprimer le concept d’un nombre en l’associant aux doigts de la main. Puisqu’il avait une pomme et une pomme, il pouvait tout à fait dire qu’il avait pouce-index pommes. Et s’il avait une pomme de plus, il possédait pouce-index-majeur pommes. Anatole Dugenou venait d’inventer le concept de nombre.

Tout heureux, il alla chez son voisin et lui expliqua son idée. Le voisin (qui avait plus de pommes et moins de scrupules) lui fit remarquer que ce n’était pas très pratique : si on avait cinq pommes, il faudrait dire pouce-index-majeur-annulaire-auriculaire… Et puis que dire si on avait encore une pomme de plus ? Anatole Dugenou fut déconfit, il rentra dans sa caverne et se trancha la main de dépit, ne put plus chasser correctement et mourut de faim rapidement.

Le voisin vola la paternité de l’idée (Je vous avais dit qu’il avait moins de scrupules) et étendit le concept au-delà de pouce-index-majeur-annulaire-auriculaire en leur enchaînant main-pouce, main-pouce-index, main-pouce-index-majeur, etc. Curieusement, l’Histoire a retenu le nom d’Anatole Dugenou comme étant le premier con qui s’est tranché la main alors que celui de l’inventeur des nombres (son voisin) a disparu depuis de la mémoire des hommes.

►L’Addition.

Il ne fallut pas énormément de temps pour que le concept de nombres débouchât sur celui d’Addition. Plus précisément le temps nécessaire aux hommes pour passer du déclaratif "J’ai pouce pomme" au déductif "Si j’avais pouce pomme de plus, j’aurai index pommes." (Oui, entre-temps, on a découvert, en plus de l’ambition et la cupidité, que ne citer que le dernier doigt était suffisant).

►La Soustraction.

Dès lors que certains hommes (généralement plus costauds) découvrirent les vertus bienfaitrices et civilisatrices de l’Addition, d’autres hommes (généralement plus faibles) découvrirent les méfaits sournois de la Soustraction. L’homme faible qui possédait pouce pomme et se voyait appliquer par la force le concept avancé de Soustraction n’avait plus rien. Et c’était très bien comme ça s’il ne souhaitait pas se retrouver avec la tête au carré par les bons services de l’adepte de l’Addition qui l’avait "civilisé". On en resta là. Jusqu’à la naissance du zéro.

►Le zéro.
Au Vème siècle, Ghandi (Ok, il ne s’appelait pas Ghandi, mais je m’en fous, c’est le seul nom indien que je connaisse alors on va dire qu’il s’appelait Ghandi.) se fit soustraire encore une fois sa pouce pomme par un additionneur de passage. Seulement peu de temps avant, il avait caché sur soi pouce poire et son soustracteur ne lui avait pas pris.

Et du coup, il eut un gros problème : il n’avait plus sa pouce pomme, mais il avait encore sa pouce poire ! Comme dire alors qu’il n’avait rien ? N’avoir rien c’est n’avoir pas de pomme, ni de poire! Il n’avait donc pas rien puisqu’il avait pouce poire ! Confronté à ce douloureux problème, il finit par créer un mot pour désigner cette quantité nulle de quelque chose. Ce mot fut "zéro". Il avait donc zéro pomme et pouce poire.

►La Multiplication

La Multiplication naquit très rapidement de l’Addition, sa mère, engrossée par la Cupidité, son père. Les adeptes très costauds de l’Addition commençaient à se fatiguer de compter le nombre de leurs pommes: "1+1+1+…+1 donne 359." (Oui entre-temps, les noms des doigts évoluèrent pour ne devenir que des symboles abscons certes, mais plus faciles à écrire…)

Un fervent Additionneur présenta un jour le concept de la Multiplication au forum annuel des Additionneurs Associées. Les autres Additionneurs testèrent l’idée dans tous les sens :
1 + 1 + … + 1, 15 fois soit 15 × 1 = 15
5 + 5 + … + 5, 6 fois soit 6 × 5 = 30...
Et finirent par l’adopter.
 
►La Multiplication par zéro.

Rapidement, la multiplication par zéro arriva sur le devant de la scène. Pas de problème, répondit son inventeur. Si vous avez zéro pomme et que "soustrayez" une pomme à cinq voisins, vous avez cinq pommes. De même, si vous le faites à quatre, trois deux ou un voisin, vous aurez quatre, trois deux ou une pomme ! Et si vous le faites avec zéro voisin, vous avez zéro pomme au final. Il s’ensuivit que 0 × 1 = 0.
Parce que la démonstration marchait aussi avec deux, trois, quatre pommes par voisin, on convint finalement que multiplier n’importe quoi par zéro donnait zéro. (C’est toujours un consensus qui tient de nos jours, seules quelques rares personnes reléguées dans des asiles cherchent encore le nombre qui multiplié par zéro ne donnerait pas zéro, je crois qu’ils en sont à 158 012 158 849 265 358 157 943 158 et des poussières.)

►La Division

Rapidement la Cupidité (encore elle) et la Paresse, poussèrent à la naissance de la Division. Combien fallait-il soustraire de pommes à ses 10 voisins pour obtenir 100 pommes ? N’était-ce pas moins fatigant de demander plus de pommes aux 4 voisins les plus proches ? Combien alors ? Toutes ces gentilles questions que l’on se pose tranquillement dans le bonheur simple d’un estomac remplis de pommes trouvèrent une réponse pratique avec la Division : 100 pommes pouvaient être obtenu de 10 voisins si l’on leur en prenait 10 à chacun. Et 25 si l’on était fatigué et que visiter 4 voisins était moins fatigant.

►La Division par zéro.

Evidemment, les Additionneurs-Multiplieurs-Diviseurs n’étaient pas les seuls mathématiciens de l’époque. Les Soustraits avaient aussi découvert qu’être plus éloignés possible de l’Additionneur en question faisait beaucoup pour le maintien de leur stock de pommes. Tant et si bien qu’un jour, l’Additionneur se retrouva sans voisin. Il voulut obtenir son tribut habituel de pommes mais n’avait personne pour lui donner. Et la division ne l’aidait pas :

Car si 100 / 10 = 10 pommes
100 / 4 = 25 pommes.
Que pouvait bien valoir 100 / 0 ?

Il convoqua une réunion d’urgence des Additionneurs-Multiplieurs-Diviseurs Associés (oui entre temps la raison sociale avait changé pour s’adapter à l’évolution des connaissances) et leur soumit le problème. Les participants découvrirent avec stupeur que le problème se posait aussi pour toutes les valeurs de tribut! Même demander une misérable pomme d’un voisin inexistant n’était pas possible!

Ils continuèrent à chercher vainement une solution et moururent tous de faim sur place. Seules des tablettes gravées de leurs calculs attestent aujourd’hui de leur désarroi profond et de leur existence. Les mathématiciens après prirent bien garde à ne jamais se pencher sur le problème de peur de tomber dedans et de mourir de faim à essayer de le résoudre. Il est de bon ton en leur présence de dire que c’est impossible et que ça n’a pas de sens.

Voilà pourquoi, même aujourd’hui, on ne sait pas ce que vaut une division par zéro et qu’on dit qu’elle est impossible.

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